C’est en écrivant deux lignes sur le livre d’Adjim Danngar que je me suis rendu compte que j’étais passé à côté d’un sujet récurent traversant pas mal de livres lus dernièrement. Des livres qui avaient déjà la particularité d’avoir été conçu ou simplement terminé dans mon quartier, soit à l’occasion d’une résidence d’auteur à la maison éponyme de la Cité Internationale de la Bande dessinée, soit dans l’un des nombreux ateliers d’auteurs de bande dessinée, et qui témoignaient tous d’une forme ou une autre d’exil. Car le livre de Minna Yu raconte son enfance, mais aussi les conditions de son départ.
Minna est une enfant chinoise qui a grandi dans un village d’une campagne reculée et pauvre. Ce village de montagne s’appelle le « Trou du serpent du Sud ». La vie y est [très] simple et rude. L’enrichissement de son père parti travailler à la ville va bouleverser le destin social de l’enfant et lui offrir les conditions d’une possible échappée. Et ce livre doux, drôle (très), et un peu triste aussi, est traversé par cette ambivalence, entre le désir ou besoin de s’extraire de sa situation et la reconnaissance d’une forme d’héroïsme de sa famille, et en particulier de sa mère. Cette incroyable figure de mère est d’ailleurs le personnage principal du livre. Pilier, référent, elle incarne (physiquement) la stabilité dans un monde mouvant, mais aussi l’immobilité. Le père par qui arrive la manne est intermittent. La mère, dont on devine la solitude et la souffrance pudique, représente la permanence et le trait d’union entre le monde démuni d’avant et cette subite nouvelle prospérité. Par son regard, il y a dans chaque chose positive qui se produit une ambivalence qui entache tout de mélancolie. Alors que ce livre est celui de l’apprentissage du médium pour Minna Yu qui était jusque là illustratrice pour enfant, c’est avec une grande sobriété de moyen qu’elle arrive à rendre compte des sentiments subtils de cette mère pilier aussi impressionnante qu’énigmatique. Ainsi, même si c’est le père par qui il arrive bien des choses et qu’il est même cité en sous-titre sur la couverture, le livre est avant tout un très singulier « portait de la mère de l’artiste ».
Mélancolie et humour, reconnaissance filiale et évasion dans : « Un palais au village, quand papa est devenu riche » chez La boite à bulle juin 2022.