Rien ne compte, rien. Que ces minuscules choses. Que nous ne pouvons pas saisir. Mais que nous imitons avec les caméras de nos téléphones. Imperceptible tremblement. Art bavard. Qui cache les désarrois. Alors, retrouver le sens de la prose, du fleuve, pour laisser filer, sachant bien que c’est ici que ce qui doit être peut apparaître, par le caprice des euphonies (des soirs disponibles). Une question. Du temps. Perdre la parole. Maladresse. Marmonner. Stop. J’entraperçois l’éclat du téléviseur sur la sphère éteinte du luminaire. Le noir est sali par l’écran. Et le corps s’alourdit du soir et des usures. Je peux, volupté, frisson, inscrire ce temps minuscule, là, environnement et gargouillis intimes, dans le champ limpide du formulaire HTML. Mon navigateur, stable, qui se souvient de l’autre sens ? est prêt. Malgré sa clarté, sa nature de machine se trahit par cette barre clignotante qui attire mon œil et m’interdit de perdre le fil, et par ce rappel discret, en bas du champ, qui indique « Brouillon enregistré à 21h 01 min 06 s ». Seul un robot parle comme ça. À tout moment, tout peut disparaitre. Je ne sais pas, à chacun des instants qui passent ( des lettres qui s’inscrivent), si je vais cliquer sur le bouton « publier » ou pas, si la chose va se retrouver entre deux mondes, limbes numériques, enregistrés comme brouillon, détruite ou enfin publié. Envoyé. Publié. Qui se souvient ? Ce que son gentil champ sémantique contient. Publié. Une civilisation. Des civilisations Des guerres des crimes des sueurs des damnations des tristesses des déceptions des faillites des vies. Publié. Mais ici, maintenant, il désigne un très léger mouvement du poignet. Et la pression d’un doigt. Publier c’est envoyer. OÙ ? Enregistré dans une base de données, quelque part dans un autre coin tout aussi minuscule du monde. Un endroit distant, radicalement autre. Envoyé, donc disponible. Disponible à l’affichage. L’affichage n’importe ou, n’importe quand dorénavant. Possible. Une chose minuscule, pur caprice esthétique, est publiée. C’est-à-dire qu’il ne répond à aucun marché, aucune loi d’aucune offre et d’aucune demande, mais ose s’immiscer, interstice, dans la vie d’autre. Peut-être. Sans certitude. Sans violence, autre violence que celle propre du sens potentiel qui pourrait venir troubler des sommeils. Singularité. Cet espace symbolique qui englue les êtres. C’est ce que nous nommons notre vie. Cet espace symbolique, qui quand il prend une forme désirée se nomme esthétique, compose l’intégralité de nos vies. Nous n’avons pas d’autre vie qu’interstitielle. Aucune chance d’immanence. Bêtise du Bouddhisme. Aucune issue dans un monde froid, minéral, à jamais inaccessible. Mortel. Miracle. Fragile. Non, un abandon. Un abandon à d’hypothétiques interstices, fragilité des frottements des coins de regards qui se croisent, des tremblements maladroits quand on sent bien qu’il aurait du y avoir un mouvement, et qu’il faudra combler, alors, ce manque par des mots. Reconnaitre les instants, les goûter. Vouloir les inscrire. Pourquoi ? Pour les lancer. Accepter. Laisser-faire. Se laisser faire. Laisser son doigt appuyer sur le bouton « publier ». On n’écrit jamais pour soi. Ou pour un autre soi, borgésien. Se rencontrer d’un autre temps, d’un autre espace, d’un autre âge. Écrire pour soi, c’est déjà être double, au moins. Donc, on n’écrit jamais pour soi.
On n’écrit jamais pour soi
Publié le 3 août 2012