Je suis toujours surpris par ce qui me fait réagir, au point que je risque d’avoir encore à le dire. Mais ça, c’est peut-être le plus étrange. Je vais parler de la couverture des Cahiers du Cinéma d’octobre 2010. Pourquoi donc ? Parce que cette couverture m’a fait plaisir, un plaisir fou, et j’ai instantanément compris, avant même de lire ce que cette photographie illustrait, qu’enfin, justice était rendu.
Je n’ai pas d’admiration particulière pour cette revue. Je ne suis pas plus sensible à sa mythologie, et même, pour avoir lu certains très vieux articles mythiques, trouve qu’au-delà de l’importance historique indéniable, il y a une certaine, disons, surestimation de la pertinence des vues critiques. Et l’on pourrait aussi reprocher aux cahiers d’avoir en retour surestimé un certain cinéma de « critique », c’est-à-dire d’anciens collègues, et d’avoir ainsi protégé d’eux-mêmes des cinéastes pas si bons, par pur copinage…
Bah, encore, l’histoire jugera, et juge déjà, et remet à sa place ce petit manège consanguin.
Mais voilà, lorsque Chabrol est mort, j’ai été peiné de la réaction générale. Et même, j’ai découvert brusquement que son cinéma souffrait d’un double mal, autant de méconnaissance que de méjugement. Et je ne sais pas trop pourquoi, puisque ça devrait m’être indifférent, mais non, j’en ai été peiné.
La seule chose que j’ai pu faire, c’est de répondre à quelques inconscients ici où là qu’ils devraient peut-être retourner aux films avant de juger trop vite ?
Et pourtant, je n’ai pas vu tout Chabrol, tant s’en faut ! Et pourtant, comme beaucoup, j’ai été déçu par ses derniers films. Et il a même réussi parfois à me provoquer un ennui glacé des plus désagréable, comme avec « merci pour le chocolat »…
Mais sur une vie de cinéma est-ce si grave ? Et garde-t-on Charlie Chaplin pour son dernier film ?
Chabrol, pour moi, est à l’origine de grand choc esthétique. J’ai une prédilection pour Noce rouge par exemple, qui me reste comme un souvenir d’un spectacle somptueux, d’une somptueuse esthétique de la perversion.
Oui, avant de devenir un faiseur un peu froid, parfois sans saveur et sans ombre, il était le cinéaste de la perversité des âmes communes avec une justesse psychosociale rarement atteinte au cinéma.
Je ne sais pas si ça m’est déjà arriver, qu’une revue ou qu’un journal me comble, que j’entre en résonance avec un numéro, c’est-à-dire réponde à quelque chose que je pensais indispensable. Je ne sais plus… Et donc, après le premier regard sur la couverture de ce numéro des Cahiers, j’ai lu « connaissez-vous chabrol », qui m’a confirmé qu’ils avaient constaté la même chose que moi, et qu’il avait construit ce numéro comme une réparation, et brusquement, alors que jusque-là, je feuilletais cette revue avec un certain détachement, je me suis pris d’affection pour elle et d’un même élan pour ceux qui la font, aujourd’hui…