Changement. Jusque-là, un petit gars amoureux, le pauvre, se tord et se retord, dans son coin, sans comprendre. Sans comprendre l’agressivité, sans comprendre pourquoi elle ne vient pas, pourquoi il va devoir attendre tant, et surtout, heureusement qu’il ne sait pas ce qui l’attend ! Heureusement qu’il ne sait pas qu’elle va rencontrer un autre gars, et qu’avec celui-ci, elle partira ! Sinon, il aurait surement sauté de sa fenêtre… sauf qu’il habitait au premier, et qu’il risquait tout au plus une entorse… et, vu qu’il habitait en face de la Mairie, très en vue, juste en face, il risquait surtout une grosse grosse humiliation. Mais il ne savait pas encore, et il ne comprenait pas, parce qu’il ne s’est pas dit une seconde, en fait si, mais entre se le dire et véritablement l’intégrer, il ne s’est pas dit une seconde que sa situation à elle, en face, n’était pas franchement symétrique. Pour lui, c’était facile, il était prêt à adopter la mère et la fille, il était prêt à tout, toujours. Mais elle ?
La petite culpabilité du gars amoureux de la voisine posait peut-être quelques petits problèmes mécaniques, facile à régler, et venait achever un couple qui n’allait pas bien, déjà. Un couple qui n’en avait plus pour longtemps… La pauvre culpabilité du gars n’avait aucune véritable conséquence… Il se prenait pour Werther, dans un bel élan néo-romantique, tout en tempête, et il se jette dans le trip dix-neuvième sans complexe. Mais ça se passe à la fin du XXe siècle, l’eau des pires tempêtes s’est évacuée depuis longtemps dans les égouts du roman, ne reste qu’un fond de cynisme qui contamine l’ensemble des fictions. Qui peut encore se permettre d’être dupe de lui-même ? Alors, une souffrance nouvelle s’ajoute, celle du survivant, celle du cynique, celle du type qui a déjà lu mille fois sa propre histoire.
Et l’autre.
Et l’impossibilité de nier l’autre. Le désir de l’autre. La culpabilité de l’autre.