En achetant ce pantalon cet après-midi, j’ai pris conscience que j’avais perdu 3 tailles en moins d’un an. La tristesse a des vertus. Marche mieux que les régimes. Et je n’aurais jamais eu l’idée de faire un régime, moi qui disais toujours, longtemps, que j’espérais avoir un bide proéminent, « plus tard ». Quand plus tard arrive, c’est une autre histoire ! J’en ai eu un, il y a quelques années, grande victoire, mais au bout du compte… raté et chez raté ! En fait, mon corps a formellement peu changé depuis la fin de mon adolescence. Le changement, c’est à l’intérieur… C’est dans les articulations, dans la raideur, dans la fragilité aussi, et dans la récupération… Sans compter les « blessures de guerre », tous ces endroits mnémotechniques qui se souviennent des coups et blessures à chaque fois que le temps tourne à l’humide. Charmant, le corps !
« Je ne m’étais pas rendu compte que tu étais si narcissique ! » Oui, je suis passablement narcissique. Je ne serais pas là sinon. Par contre, c’est pour aller sur facebook qu’il a fallu que je fasse violence à mon narcissisme. Pour aller se confronter aux autres, il faut vaincre son narcissisme. Je sais bien que presque tout le monde confond le narcissisme avec l’exhibitionnisme. Le narcisse ne veut pas être confronté au regard de l’autre, jamais, refusant toute altérité, se donnant en tout la primeur, et le narcissique n’a pas envie d’aimer… Là, je me vautre dans l’exhibitionnisme, et celui-ci vient heurter de plein fouet mon narcissisme qui me pousse à tout garder pour moi. Conflit que je dois arbitrer à chaque billet. Souvenez-vous, à chaque fois qu’on vous parle de narcissisme, que Narcisse ne veut pas accepter la présence de l’autre, pas plus que son amour. Il veut exister seul.
Bon, je ne suis pas si narcissique (j’adore me contredire), sauf lorsque je me prends pour un poète. Le poète est l’essence du narcisse, cette jouissance de soi, immédiate, dans la manière dont les mots sonnent en soi. L’artiste aussi, dans son acception dix-neuvièmiste. Par contre, j’ai un gros problème avec mon corps, avec son vieillissement, comme pas mal de gens, et avec le fait qu’on ne se reconnait pas dans son image. Qui se reconnait sur les photos ? Personne. Ou les professionnels de la communication qui sont habitués à se voir. Mais sinon, qui se reconnait ? Dernièrement, traversant cette crise, j’ai interrogé mon image. Et comme j’ai beaucoup de photographies, en général de bonnes qualités (sauf les miennes, puisque je sabote toute photographie que je prends), vu mes fréquentations, je cherche à m’y reconnaitre. Je m’y cherche sans jamais m’y trouver. Je sais depuis très longtemps, puisque j’ai un père qui photographiait beaucoup, que si je me rencontrais, je ne me reconnaitrais pas. « Mais qui êtes-vous ? » Je ne sais pas. Je vois bien que j’ai un peu de chance, que j’approche de la cinquantaine avec des restes de ce corps d’ado conformé par la pratique des arts martiaux. Ces pratiques conforment, programment peut-être plus qu’aucune autre pratique. Ma manière de bouger, la position de mes mains, toujours la même sur toutes les photos de tous les âges, que personne ne remarque, mais que j’identifie tout de suite, et d’autres choses subtiles qui font de moi un produit de la répétition de ces gestes-là.
Mais j’ai eu si peur, il y a un an, me sentant si vieux, si impotent, si fragile…
Je sais, pour avoir déjà brassé mes archives, que les gens qui m’aiment m’ont tous pris en photo. Sur une vie à feuilleter, la chose était flagrante et troublante. Bien sûr, l’une de mes compagnes était photographe. Mais, filles comme garçons, j’ai ces étranges traces inversées, dans le regard qu’ils portaient sur moi. Mais je ne m’y reconnais pas plus. Je ne connais pas la personne qu’ils ont aimée. C’est très troublant.
C’est assez étrange, mais j’en viens à dire ici des choses que je caches soigneusement dans ma vie sociale. J’ai fabriqué un personnage dans cette vie là qui ne ressemble ni à ce que je suis, ni à ce que j’étais. Même le nerd est une invention. Qui suis-je ?