Je trie les placards, les fonds, sous les éboulements, et mets de côté les photographies. Je disais dans l’alcool de la nuit qu’on regrette toujours de ne pas avoir fait assez de photos des gens. On se retrouve avec des machins, des trucs, des paysages sans intérêts, des fragments de monde avec lesquels on a rien en commun, et, puisque « nous » sommes des artistes, des photographies de travaux qu’on assume plus vraiment…
Et pas, ou presque pas de photographie des gens qu’on a croisé, aimés ou mal aimés, et dont il ne reste parfois même pas un visage dans sa mémoire.
Là, je viens de jeter des petits papiers d’une fille aimée un temps, elle était plus vieille que moi, de cinq ans je crois, et ratait toujours mes rendez-vous, semble-t-il, puisque ce que je retrouve, ce sont des petits mots d’excuse : « Alain, désolé pour le cinoche, il est 18 h 30 et je dois partir… à demain ! ». Étant donné que je n’ai pas souvenir d’une conclusion avec celle-ci, je crois que la relation a dû se résumer à un chapelet de petits mots d’excuse… Il est temps de les jeter, 26 ans après…
Elle était bibliothécaire et me trouvait « si intéressant ! »…
Ho, au moment de jeter celui-ci, je vois ce qu’elle avait marqué en haut à droite : « 27 février 1989 St- Glin Glin » ! ça avait le mérite d’être clair ! Mais… il y a un problème avec ma mémoire… 1989… j’étais alors « officiellement » avec une autre fille… Je ne me souvenais pas que ces histoires-là s’étaient croisées…
Trois ans plus tard, je commençais à vivre une grande histoire, une grande histoire à l’échelle de ma vie, et parfois je croisais encore ce petit lapin qui me jetait des regards en coin. Trop tard petit lapin !
Je trouve autre chose : un petit rouleau de papier de 2,5 cm de hauteur. C’est une seule phrase très longue, très très longue, d’une autre fille. C’est un cadeau d’anniversaire d’une fille avec qui je suis resté quelques années. Je ne me souvenais pas de ce petit rotulus ! Elle m’énonce les cadeaux qu’elle va me faire, qui ressemblent surtout à des cadeaux pour elle, genre : « le catalogue de l’exposition Karl Lagerfeld », et vers la fin de la phrase, qu’elle a changé les plaquettes de frein… OK… Je crois que je vais encore garder ce petit truc pour l’étrangeté de la chose.
Beaucoup beaucoup plus vieux et non daté, un petit billet d’une qui voulait vraiment que je la retrouve :
« Aller jusqu’à […] et après l’église, tourner à gauche direction […] ensuite, tourner à gauche après la barrière — prendre la 1re à gauche et ensuite (attention dans le virage dangereux ) tout droit en haut de la montée ! »
Évidemment, je m’amuse annexe, en triant des petites choses, et parce que je n’ose pas ouvrir les lettres, les « vraies lettres d’amour ». Plus par peur d’y perdre mon temps que par appréhension. Ou peur du trouble… Ou…
Bien bien… Tout ça ne répond pas à ma question… Doit-on garder les lettres d’amour ?