Ha, je n’ose toujours pas vous raconter ce qui m’est arrivé au début de l’hiver 1989 ! Le truc frustrant… Mais qui me fait rire.
Non, j’y arriverais pas. C’était un autre moi, un très autre moi. Une étrange période. Juré craché, pas de drogue. Non. Pourtant, entre novembre et décembre, la toile de fond, celle qui sert de décor au réel a tremblé, et s’est entrouverte sur autre chose. Ma vie entière, chaque jour, chaque nuit, et chacun de mes pas, tout a changé de nature. Il y a un avant et un après. Ce n’est pas un événement, même s’il y a eu des événements, dedans, mais une vraie période, longue, longue, comme un voyage lointain.
Mais non, je ne raconterais pas. J’oserais pas. On changerait trop de « genre ». Et surtout, ce qui compte, c’est juste ça : ma vie intellectuelle doit se faire sans cette période. En fait, je m’en suis souvenu en écrivant ici, car je l’occulte. Je l’occulte surtout pour penser. Parce que si je ne l’occulte pas, alors, tout devient bien trop compliqué. Et donc, ou je veux en venir, c’est que ce que nous pensons n’est pas le fruit de notre expérience, de notre vie, mais aussi d’un tri sévère dans tout ça agrémenté de nos arrangements avec ce qu’attend le monde. Et je me dis que si je dois occulter un pan de ma vie pour faire tenir debout ma conception du monde, alors ce doit bien être le cas d’autre ? Et peut-être d’autres célèbres, qui ont bâti des châteaux théoriques pour eux et pour le monde sur des fondations poreuses…