Famille (aller)

Publié le 9 avril 2013

C’est assez drôle en fait… assez drôle. On n’imagine pas une première rencontre « avec la famille » comme ça. Jamais.

Je passe chez elle. Il est seul. Un café, et on cause… Et je tente de retenir mes yeux qui cherchent partout. Et je me mords les lèvres, pour ne pas dire « mais ou est-elle ? Où est-elle ? ». Non, je ne dis rien, je fais comme si je pouvais venir le voir lui, et discuter, comme si j’en avais quelque chose à faire de lui… Et enfin, au bout d’une éternité, il y vient, à son étrange absence « Elle est dans sa famille pour quelques jours… ». Vent glacé dans l’appartement. Envie de fuir. Et plus tard, “Je dois la rejoindre demain soir… il y a une sorte de grosse fête, un repas… » et, éclair de génie de ce type qui a eu un comportement si ambigu, et que je soupçonne maintenant de l’avoir détesté de ne pouvoir la maitriser, « mais… tu as une voiture… tu pourrais m’y emmener ? Comme ça, tu viendrais faire la fête ! » et moi, un peu trop rapidement « Oui, pourquoi pas ? » ce petit pourquoi pas qui cachait très mal ma jubilation. Comme sur le plan !

L’impression, là, de mettre mes pas dans mes traces. j’ai déjà écrit une nouvelle sur cette anecdote, il y a dix ans. Que faire ? De l’autocitation ? Un peu ridicule. Mais pourquoi pas ? Argh ! ne pas se relire.

Donc, elle est dans sa famille, et je suis maintenant convié, officiellement, parce que ça va vite un coup de fil, à un grand repas chez ses grands-parents agriculteur. Le lendemain, on embarque dans ma petite voiture, et ce grand gaillard échevelé m’impose un chemin de traverse qui nous met en retard. Mais il était toujours en retard pour tout. Quand elle le quittera pour un autre que moi, il sera encore en retard d’un train. Il va me pourrir le voyage, ce voyage qui me rapproche d’elle, géographiquement et socialement. Je n’imagine pas combien de fois, dans ma vie, je vais faire cet aller-retour-là. Tout est neuf, ce jour là.  Il a embarqué de vieilles cassettes de vieux métal dissonant qui résonne dans cette petite voiture trop métallique. Le paysage vallonné, charmant, se transforme en manège infernal. Son grand corps déborde de partout, côté fenêtre déjà et de l’autre, contre moi et j’ai l’impression de me tasser sur la tôle.

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p style=”text-align: justify;”>Parfois, un aller n’annonce pas un retour… Une ferme, à 40 kilomètres de la mer, devant un paysage de vallon. Un jour, je dirais à son grand-père « vous avec un beau paysage, devant chez vous » et il me répondra « quel paysage ? » sérieusement, et “Ce sont mes champs, c’est pas un paysage ». Voilà, une grande pièce, une grande table tout en longueur et que des gens que je n’ai jamais vus. Je rencontre enfin sa grand-mère, sa merveilleuse grand-mère, nerveuse et grivoise, et nous allons instantanément nous adopter. Nous sommes en bout de table, vers la sortie, elle, lui, moi et sa grand-mère. Configuration importante, pour que les choses se passent comme elles devront se passer. Car ma première rencontre avec sa famille ne va pas s’éterniser. Je n’ai d’ailleurs aucun souvenir de son inénarrable mère, ce jour-là. Donc, en bout de table, nous mangeons, puisque nous sommes arrivés en retard, et elle, elle est déjà un peu saoule, de l’apéritif qui dure en général une bonne heure ici. On cause, on boit, on mange  aussi, et je ne sais pas comment c’est venu, mais pour la première fois, je le vois lui sortir de sa contenance. En fait, cette scène préfigure ce qui va se passer dans les années suivantes. Il ne la supporte plus, je le découvre, et s’en prend à elle, et s’acharne, par de petites réflexions qui se transforment en insulte. Et là, alors que je ne suis personne, que je ne connais personne, nous formons une alliance avec sa grand-mère pour la défendre, pour ne pas la laisser se faire traiter comme ça. Mais elle n’a pas besoin d’être défendue. Elle ne va pas supporter longtemps les insultes, et c’est comme ça que, mais là je n’ai pas de souvenir sur le mouvement des corps, c’est comme ça qu’en plein repas elle m’entraine dehors.
 Ça va très vite. Nous traversons la cour, contournons une grange et escaladons une architecture de paille. Des souvenirs de ça, de vacances en Alsace. Je suis en terrain connu. Nous grimpons. Et pendant que le repas continue comme une belle machine sociale bien huilée, nous trouvons l’endroit, pour nous rouler. Elle rit, elle est contente, et je suis autant saoul de l’inespérée situation que de l’alcool. On s’attaque à son jean, il faut l’enlever, mais ivresse et instabilité de la paille transforme l’exercice en acrobatie. Et le jean se libère enfin de son dernier pied, elle ri, et le jean disparait. Quoi ? Le jean, il glisse entre deux bottes, et avant que, disparait. Pendant une seconde, nous sommes dégrisés, « merde, ton jean ! » oui, merde. On comprend instantanément que nous ne pourrons plus revenir vers la fête familiale… Je ne suis pas son mec, je ne suis pas le père de son enfant, ils ne m’ont jamais vu… Impossible ! Après la minute d’abattement, elle trouve la solution “on prend ta caisse, on va chez ma mère, et dans ma chambre, il y a peut-être encore des fringues d’ado… des vielles fringues à moi…” “OK” le plan à l’air bon. On descend de la montagne instable qui a digéré ce jean, dont nous n’entendrons jamais parler, jamais, omerta familiale, et je suis content de m’être garé sur le côté de la ferme… Elle tire sur son tee-shirt, et ça passe à peu près, presque présentable. Zou, d’un coup, je découvre que sa mère habite dans un pavillon moderne à quelques kilomètres, de l’autre côté du patelin, et j’entre dans sa chambre d’enfant. Je regarde partout, fasciné, absorbant… croyant peut-être que je dois garder précieusement tout ça, que ça ne se reproduira pas, alors que je vais vivre tant de choses bonnes et mauvaises dans tous ces décors-là. Pendant que je reste en retrait, hagard, respirant l’atmosphère qui l’a vu grandir, elle fouille fébrilement son vieux placard. Et ne trouve rien… Elle s’énerve et retire un tout petit bout de truc. Je regarde… « J’ai ça… c’est tout » un bout de jean ? Ha, non, une mini-jupe d’ado, en jean. Une mini mini-jupe. Elle se l’ajuste. Ça la change de genre… Elle se regarde… « Je ne peux pas y aller comme ça, pas possible… » Moi, rien, ça fait longtemps, depuis qu’on s’est levé de table, que je ne comprends plus rien à rien, que j’existe à peine, que je tente de suivre le mouvement, son mouvement, ses mouvements.

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