Revenons à la grande fille molle, à mes côtés, devant cette fenêtre… Que m’avait-elle dit ? Qu’il fallait que je sorte avec des filles plus classes ? Des filles comme elle ? Non. Ce que je comprenais, en regardant ce petit amour qui passait et allait bientôt passer définitivement, ce n’est pas que je méritais mieux, non. Cette fille était pour moi. Nous étions sociologiquement accordés. Non, le problème ce n’était pas elle, c’était moi. Ce que me disait cette grande fille (quand je pense que les mecs n’écoutent jamais les filles ! Normal qu’ils ne comprennent rien à rien !), ce qu’elle me disait, c’est « regarde, tu es comme moi, regarde, tout le monde pense que je suis la plus belle fille du lycée, mais c’est pas vrai. Mon visage, regarde vraiment mon visage, il est pas terrible. Je ne suis qu’une illusion. C’est ma mère, la plus belle fille du lycée… » Oui, c’est vrai, c’est ta mère, avec son air d’actrice de porno baba cool, elle sortirait pas d’un film de Barbet Schroeder ? « Alors, tu vois, tu comprends, moi, je sais juste “faire”, je sais me projeter, et alors ces abrutis avec leur lunette de soleil et leur coupé neuf, ils me baladent, ils paient et n’y voient que du feu ! Et toi, tu es comme moi, tu es un imposteur ! » C’est ça que j’ai compris. C’est que je ne pourrais jamais être là ou je suis né. Et en partant, je pensais à « j’irais cracher sur vos tombes », et j’avais un sale gout dans la bouche, et je baissais la tête, de honte, de toujours passer pour ce que je ne suis pas. Une malédiction.
Je n’étais pas la plus belle du lycée. Je n’étais qu’une illusion.