Franchement, franchement, si j’avais eu une autre vie à disposition, j’aurais aimé travailler sur ce sujet. Quel sujet ? Celui de l’étrangeté, que dis-je, de l’incongruité de cette « Grande Histoire » de la littérature française largement expurgée de sa part féminine. J’en avais eu l’intuition, un ressenti de simple — gros et vieux — lecteur, mais sans entreprendre une véritable enquête comme celle de Julien Marsay. Et le résultat de son enquête est édifiant, non d’ailleurs par l’énumération des publiées qui sera toujours perfectible, mais par la mise en lumière des stratégies de ce véritable travaille collectif d’invisibilisation. Car Il y a bien une occultation historique de nombres d’autrices, et cette occultation est le résultat d’une farouche volonté d’un certain nombre d’agents du milieu littéraire. Des agents hargneux capables d’incroyables rhétoriques comme de véritables stratégies éditoriales. Il y a bien eu, sur les quelques pauvres siècles de ce qu’on considère comme l’Histoire de la grande littérature française, une volonté persistante de nuire aux autrices, qui se transmet comme un virus de génération en génération d’historiens et de critiques, et dont le moteur est, en toute simplicité, une viscérale haine des femmes. Et si le problème m’apparaissait à moi, simple lecteur, c’est bien qu’il fût particulièrement criant. Cette « Histoire » si fière d’elle-même traite bien mal les autrices, quand elle les traite… puisque sans aucun scrupule, plus souvent que les minorer, elle les efface, parfois même après les avoir plagiées et pillées. Pourquoi m’en suis rendu compte ? Peut-être, simplement, parce que je suis sensible à l’injustice, à l’arbitraire et au fantaisiste des mystiques de métier dont sont empreint les fétichismes littéraires et que, toujours comme (très) vieux lecteur, l’écriture n’a jamais eu pour moi de genre déterminé. Et nous sommes là en présence d’une injustice massive, systémique comme on dit aujourd’hui, et aussi têtue que les préjugés les plus crasses.
Je ne connaissais pas la plupart des occultées dont parle Julien Marsay, comme Christine de Pisan, Marie de Gournay, Madeleine de Scudéry, Françoise de Graffigny, Claire de Duras, Olympe Audouard, les sœurs Nardal, ou cette incroyable Georges De Peyrbrune (dont j’ai pu lire depuis « Victoire la Rouge », juste un chef-d’œuvre, comme l’avait très bien noté Octave Mirbeau avant de s’en inspirer). Pour cause ! Sauf peut-être deux ou trois, puisque lecteur de textes anciens, et surtout l’une dont j’ai le livre le plus célèbre pour avoir travaillé une dizaine d’années dans ses anciens appartements (pour être exact, j’étais graphiste dans une extension du XIXe jouxtant ce qu’il reste de ses appartements du XVe). Bref, même moi qui lit de l’ancien, du vieux, du poussiéreux, et télécharge du PDF bien moche sur Gallica depuis sa création, je n’imaginais pas l’ampleur du phénomène, et surtout je ne connaissais pas les preuves de la haine des critiques et historiens. Affligeant. Minable. Il est grand temps de « dé-canceller » la moitié de l’humanité. Et la tâche est immense ! Il y a tellement de choses à faire admettre à ceux qui ne voit pas le problème, sur la non-universalité de leurs références universelles, sur l’obsolescence de leur littérature éternelle (sacrilège !), sur la démonétisation de certains enjeux dans la fiction, sur l’arbitraire de la hiérarchie de leur panthéon, sur le conjoncturel de la pertinence des références…