Le conte

Publié le 16 avril 2013

Je dois débroussailler, retrouver les petits cailloux que j’ai semés ici, comprendre le chemin. J’ai remarqué depuis quelque temps, années ? Que j’oubliais les romans, au profit de ce qui sourd des profondeurs, les contes et les fables. Je me sens bien plus proche aujourd’hui de quelques fables et historiettes enfantines que de n’importe quel romancier, et de n’importe quel « grand roman ». Je me souviens parfaitement de l’un de mes premiers frissons glacés, lorsqu’enfant, j’ai du apprendre la cigale et la fourmi, à comprendre, non, comprendre est un terme trop léger, à sentir, à voir, comme un oracle, à savoir, à je ne sais quoi d’intime, profond, encré, enraciné, que je n’étais pas du bon côté, du côté du confort, de la sécurité, de l’avenir douillet. Ce sentiment qui va se confirmer à l’adolescence quand je vais chaque jour sentir l’angoisse monter, de ne pas être pour ce monde, celui qu’on me proposait, qui se présentait. Alors oui, de 21 à 31 ans, pendant dix ans, j’ai plongé sans peur dans une vie démodée, cette vie des bohémiens qui enflammait les livres et tout l’imaginaire du bourgeois replet du dix-neuvième siècle. Je me souviens aussi de ne pas savoir si j’étais chien ou loup. Mais je me souviens de ma prière enfantine, silencieuse, pour que j’accepte d’être chien, pour la gamelle. Comme la forêt et la nuit me faisaient peur, alors même qu’elle m’attirait. Eh non. Non, je suis désolé maman, je n’y arrive pas. La laisse me brûle le cou. Je me souviens, je raconte ça ? Oui, je me souviens comment, ça a commencé vers 10 ou 11 ans. Certaine nuit, ces nuits que je passais à lire clandestinement, à la lumière d’une petite lampe de poche, sous les draps, parmi ces nuits qui m’assuraient de dormir pendant les cours, je me levais en silence, j’ouvrais la fenêtre, et je descendais la façade, du premier, parce que j’ai toujours été léger et agile, je descendais, et je grimpais sur les toits d’une cabane qui communiquait avec d’autres cabanes du voisinage et je glissais, sur les éverites, avec art, car mon père nous avait appris comme ce matériau est dangereux, qui casse comme du verre sous le poids mal réparti, et je glissais et restait ainsi, dans la nuit, à sentir, à écouter. Je restais, et rentrais, moi si peureux, si timoré la journée. Oui, tient si peureux, mais à l’école, quand il y avait quelque chose de dangereux à faire, c’est moi qui m’y collais, toujours grâce à mon étoile, car comme ça, je savais qu’il ne se passerait rien. C’est donc moi qui rampais sous les « préfas», pour chercher une balle ou un ballon, glissant entre les bouts de verres, de métal et les caillasses. J’aimais ça. Cette tension, cette attention, cette précision. Par ce que je restais calme. Des contes pour enfants. Je ne raconte jamais, mais aujourd’hui, je me suis retrouvé seul dans ce grand bureau. Et là, dans ce silence d’avant mon départ, je n’ai ressenti une tristesse, pas une nostalgie, aucune, je n’en aurais pas, non, une tristesse et j’ai eu envie de pleurer, tant l’atmosphère est celle d’un tombeau. La mort. C’est la mort que je fuis. Oui, j’en ai donc peur, au bout du compte, comme tous, pas plus malin. Oui, je la fuis. Dès que je sens son odeur, je pars, sans me retourner, sans égard pour ceux que je laisse. C’est bien l’odeur de la mort, que je fuis.

Je ne peux toujours pas lire le Journal de Fabrice. Mais je l’entrouvre parfois, avant que la nausée me prenne. Et j’y découvre qu’il avait peur, peur de l’exclusion sociale, de cette pauvreté qui était notre état. C’est étrange, car même s’il nous a tous fait rentrer au musée de notre vivant, comme ça, comme fiction parmi les fictions, s’il jouit d’une relative célébrité, il n’est jamais sorti de cet état là. Et quelqu’un m’a dit il y a à peine un mois “tu devrais lui reparler. Tu devrais. Il ne va pas bien, son histoire de procès. Et il ne s’en sort pas ». Ne t’inquiète pas, je reviens. Non, ce qui est étrange, c’est qu’à l’époque même, alors qu’il souffrait, je jouissais, et je morflais, oui, mais par la passion. Pendant qu’il s’ennuyait à m’attendre, pendant qu’il désespérait de sa pauvreté, je me vautrais dans cette situation, je prenais ce que cette vie avait à donner, je prenais le roman avant que la paix me prenne, car un salarié, ça ne baise pas. Le secret. J’ai testé pour toi, Fabrice. Ça ne te plaira pas. Si tu veux continuer à te faire enculer par des gars louches, ou sucer une queue odorante sur un chantier sordide, fuis, comme le loup, pour éviter la castration.

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