En publiant le dernier petit billet d’hier soir, je me demandais « mais ou est ce gars-là ? ». C’est vrai. Je ne vais pas larmoyer sur moi-même, je sais très bien ce qu’il lui est arrivé. C’est ma vie. Mais c’est vrai qu’en racontant, je me rends compte comment à chaque âge de la vie, notre comportement change et change ce que nous sommes, ce que nous émettons et la manière dont les gens nous reçoivent. Et après tout, nous ne sommes que ça, ce que les autres reçoivent. Mais il faut une forme d’inconscience pour dire à quelqu’un « tu ne seras pas ce que tu es. Tu crois que tu es ça, ou ça, et tu t’es déjà construit solide avec ce que tu as vécu, tu es sûr de ta forme, des limites de ton corps, tangible, de ce que tu crois de toi, et même de ce que tu vois dans le miroir. Pourtant, ce qui est sur, c’est que ce que tu es n’est pas ce que tu seras ». C’est ainsi. Pourquoi autant de certitude ? Ho, le temps, le corps, déjà, et il est en général trop tard lorsqu’on découvre qu’on devient ce que les autres veulent. Oui, il ne faut jamais tenter de dire les choses à l’avance. Laisser les certitudes en place. Les certitudes vacillent toujours bien assez tôt.
Oui, il y a eu le moi qui aimait parler en public, qui n’avait peur de rien par inconscience, au jugement à l’emporte-pièce, tranchant, et ne faisant jamais attention à la manière dont était reçu ce qu’il disait. Il y a eu un gars comme ça. Il y a eu celui qu’a rencontré P., déjà assagi, que l’Armée française avait passablement traumatisée, qui n’avait plus envie de parler en public, qui n’y arrivait plus. (Je me souviens quand je me suis rendu compte que je n’en étais plus capable. Comme si je n’étais plus moi. Comme je ne me reconnaissais plus.). J’étais encore inconscient de beaucoup de choses, j’avais… en fait, 27 ans, quand je croise P., pas 26, et il y avait déjà quelque chose de triste chez ce gars hyperactif, insupportable, emporté, dont la voix couvrait toujours celle des autres.
Mais ce moi nouveau, celui de 27 ans, parlait encore de cul toutes les trois phrases, sans obscénité, avec un certain détachement, juste parce que c’était « normal » pour lui, que c’était sa culture, comme d’autres le foot ou les bagnoles…
Le gars d’aujourd’hui… Le gars d’aujourd’hui a décidé de se souvenir de deux ou trois choses et de ne plus entretenir celui que les autres ont fabriqué.