C’est la question que je me suis posée lorsque j’ai découvert une page entière consacrée à cet étrange genre littéraire qu’on nome littérature sentimentale, ou à l’eau de rose, ou directement par le nom de la plus célèbre des collections : « Harlequin ».
Ha, ça existe encore, et le site est tout rose !
Je ne sais pas pourquoi, cette fois-ci, j’ai vu : sur toute les couvertures, le même homme, à quelques nuances près, comme si au cinéma un acteur unique avait du jouer dans tous les films, et donc ici, dans toutes les histoires d’amour et d’argent mêlées.
C’est donc un type plutôt grand, très brun, à la mâchoire carrée… qui va avoir le privilège (un peu cauchemardesque, quand même, ça dure depuis plusieurs décennies !) d’embrasser toutes ces filles qui elles, et même si elles sont majoritairement blondes, ont parfois la liberté d’être brunes ou rousses…
L’homme est unique, la femme multiple… Perplexe. Réponse : penser à la cible, je suppose…
J’ai donc interrogé quelques filles, dans mon entourage, pour savoir si leur type d’homme, c’était bien une sorte de « Bernard tapie jeune » (malin !)… Et la réponse, peut-être malhonnête fut sans appel : Surtout pas ! Perplexité encore ! Mais pas sûr que mon panel est sociologiquement pertinent… Hum… Oui, je ne suis pas plus avancé, et comme je ne connais pas de Lectrice de cette littérature, je ne peux pas trop savoir si ce type-là a été casté par le lectorat ( latin lover ) ou s’il n’est que l’indice d’une sclérose mentale des éditeurs persuadés de détenir la bonne recette… voire d’une paresse des illustrateurs !
Ne reste donc que cet étrange phénomène visuel, ce personnage unique qui saute d’une couverture à l’autre et d’une femme à l’autre, exemple de standardisation absolue d’un fantasme. En effet, les pin-ups, et même les princesses ont quand même droit à quelques variations, elles ! Je poste donc ça ici, en espérant être éclairé… Enfin, maintenant, je sais pourquoi je n’ai pas embrassé tant de filles que ça : je suis blond.
Étrange éternel masculin…
Jean-no
Les hommes ont la peau mais aussi les cheveux plus foncés que les femmes, même les blonds… Donc blondeur == jeunesse/fraîcheur/féminité tandis que brunitude == virilité/personnalité. Une femme brune au cinéma n’a pas le même rôle qu’une femme blonde, bien souvent, d’ailleurs. Mais ici, les femmes sont souvent brunes aussi, sans doute du fait du lectorat visé, les femmes, qui doivent s’identifier. Enfin un truc comme ça.
André Gunthert
Ces couvertures comportent bien d’autres stéréotypes – toute une collection! – que les caractéristiques du héros masculin. Un article très drôle de Michelle Coquillat avait ressurgi sur les réseaux sociaux cet été, regrettant en gros qu’Harlequin ne soit pas aussi inventif et original que l’art voulu par Kant. Outre les clichés qu’il véhiculait sur l’idéal littéraire, aussi stéréotypé que ton bonhomme à la tignasse brune, cet article oubliait de prendre en compte les plaisirs propres à la littérature industrielle, bien identifiés par Umberto Eco, soit la « jouissance de l’itération » ou la « dégustation du schéma », proches des plaisirs de l’enfance (cf. « Le mythe de Superman », De Superman au surhomme, Grasset, 1993).
Patrick Peccatte
Avec un peu de persévérance, on déniche quelques blondinets (1, 2, 3, 4, 5, 6), mais pas moyen de trouver des noirs ou des asiatiques…
Alain François
En fait, c’est ça… ce « bonhomme » serviable est le point fixe de l’itération. Jean-No a raison, les femmes lectrices doivent s’identifier, donc variété des femmes (ça, ok) mais l’homme, c’est l’horizon, l’axe autour duquel tourne le désir, et il se doit d’être fixe, donc… (Le Eco, il est derrière moi…).
Alain François
Oui, il y a des blondinets, Patrick, mais le gars avec sa coiffure des années 70 est très majoritaire… et il n’a pas changé de coiffure !
Alain François
Ce type est un simple « schéma dégusté » ! Déjà moins enviable…
André Gunthert
« Et il n’a pas changé de coiffure » Une hypothèse comme ça: faudrait vérifier si Harlequin a changé entretemps d’illustrateur… 😉
Alain François
Sa persistance capillaire a quelque chose de vertigineux… Mais tu as raison André, les variations sont apportées par la photographie (les hommes réels ne répondent jamais vraiment au cliché). Donc, ça vient des illustrateurs… ou du cahier des charges…
NLR
L’influence du cinema américain classique y est pour beaucoup, je crois. Peu – voire pas – de séducteur blond dans ce cinéma-là. A part Redford et désormais Brad Pitt, le blond est fourbe, tendance germanique à l’oeil d’acier, – c’est donc le méchant – tout à fait incompatible avec l’imagerie plutôt latine et chaude du séducteur.
Adrien Dufourquet
une nouvelle maison pour votre boîte à pièges
lmblamaisonde.wordpress.com
bien cordialement