Loïc Guyon l’Américain

Publié le 22 juin 2021

J’aime bien cette situation. De mois en mois, je passe dans un atelier, une fois, deux fois, trois, et je vois des planches en chantier, des études, des essais, du labeur, beaucoup, et un jour, relativement longtemps après, et ça se compte en années, car c’est long, je lis un livre, massif, compact, solide, et je découvre une histoire. Et même si parfois l’auteur m’en a parlé, de son projet, c’est toujours une surprise, car ce qui était parcellaire, éclaté, simples morceaux séduisants, s’égrène maintenant en flux déroulé neuf et solitaire.

J’avais donc noté, en rendant visite à Loïc Guyon, qu’il avait l’audace — au sens où ça allait nécessairement poser un problème de scannérisation et de reproduction — d’user de papiers de couleur pour réaliser certaines de ses planches… Maintenant que le livre est là (j’ai chopé l’exemplaire dédicacé à Elric pour le lire avant même de l’avoir vu en rayon), je découvre que l’usage de ces papiers de couleur n’était pas une simple coquetterie esthétique ou une vacherie pour l’éditeur, mais bien un vrai procédé qui structure le récit par cahiers. Sur le principe du rapport entre réel et fiction à la De Broca, l’Americain s’amuse des récits enchâssés en les matérialisant par ces cahiers de couleurs. Ce livre qui semblait par son récit une distraction légère (c’en est une aussi), en devient un véritable méta-discours sur les fictions populaires. Et enfin, puisque la référence de cette bande dessinée est éminemment cinématographique (plutôt les séries du temps du magnétoscope d’ailleurs) l’alternance réel / fiction se double d’une alternance de genre, pastiche des fictions d’action hollywoodiennes (cahiers couleur) / pastiche de cinéma français intimiste (noir et blanc). La porosité progressive des deux niveaux de fictions imbriquées est elle aussi relativement traditionnelle. Ce qui l’est moins, ce sont ces fermetures finales de parenthèses en gigogne qui clôture des enchâssements subsumés à un récit-cadre jamais ouvert… Vertige structurel et gag.

Voilà qui place L’Américain au rayon des jeux sur les enchâssements narratifs (comme les Christian Garcin lus l’année dernière). Et ais-je encore réussi à parler d’un livre sans rien en raconter et pourtant en le spoilant ? Je crois bien…

L’Américain de Loïc Guyon, éditions Sarbacane 2021

https://editions-sarbacane.com/bd/l-americain

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