Ha oui, à propos de cet organe du père… Quand on m’a mis un réflex numérique entre les pattes, comme ça, alors que je n’en voulais pas (c’est sale), j’ai été surpris de voir ce doigt glisser la molette en position « manuel » (tout ça est un cadeau aux freudiens, évidement), et monter l’appareil à l’œil (ce que je ne faisais plus depuis mon premier numérique en 1998), et réussir une photo, comme ça, sans réfléchir…
Je disais « je ne sais plus faire ».
Sauf que j’étais un bébé quand mon père m’a mis son appareil entre les mains, à l’œil (cadeau), et si je me souviens du labo avant 5 ans (j’ai un repère temporel infaillible : un déménagement), je me souviens surtout de la bague qu’il fallait ajouter avant l’objectif pour réaliser des « macros » de fleurs dans le nouveau jardin (donc j’avais 6 ans), genre, la macro, que j’exècre évidement aujourd’hui (re-cadeau). Tient, je devrais en faire pour rire !
Et donc, quand on m’a mis un réflex entre les mains, je n’en avais pas touché depuis 1994, et mes mains ont fait le taff, toutes seules…
Bizarrement, ça n’a pas été une sensation agréable. Comme quelque chose qu’on m’imposait, un héritage forcé, que j’avais toujours refusé.
L’organe le plus paradoxal :
Mon père ne s’est coupé aucun doigt. Il aurait abandonné l’ébénisterie pour ne pas perdre un doigt, dit-on. Mais il n’a jamais abandonné. Il en faisait chaque soir, et tous ses week-ends. Mais, malgré ces étranges et terrifiantes machines castratrices, il n’a perdu aucun doigt, respectant scrupuleusement les consignes de sécurité apprise dans la douleur pendant son apprentissage.
Il est mort avec tous ses doigts. J’y reviendrais dans longtemps.
Et, un week-end dernier, dans le nouveau jardin de ma soeur, son mari veut couper un laurier que l’ancien propriétaire indélicat a laissé pousser haut et envahir les deux jardins voisins attenants. Alors, il sort la tronçonneuse, qui tombe en panne. Il se rabat sur une grande scie égoïne qui semble presque neuve. Une longue scie. Et je le vois cogner le bois avec les dents, et je comprends (je comprends ?) que c’est moi qui sais utiliser cette grande lame agressive. Je lui prends la scie, et par delà les décennies, laisse mes mains couper tranquillement les troncs du laurier géant.
Sentiment ambigu, renouvelé, comme pour le reflex… Encore un héritage forcé. Je sais me servir, geste inscrit profond, d’un tas d’outils à main, un tas, dont sûrement beaucoup dont j’ai même oublié l’existence.
De combien d’organes du père clandestins suis-je composé ? (j’ai évité « m’habite », parce que ça suffit, les cadeaux)
Où aller, si, un dernier pour la route : le nom de famille de ma mère évoque le laurier.