Il y a des jours qui ne devraient pas se raconter. Ça vous tombe dessus comme ça, vous n’avez rien vu venir, et les choses s’enchainent vers je sais pas ou. Que l’écran de l’iMac devienne noir, qu’il clignote et affiche une bande de la page que j’étais en train d’écrire répété sur tout l’écran, c’était surprenant, vraiment surprenant de la part de cette machine qui tourne comme une horloge depuis deux ans. Mais. Un machin informatique qui se met de travers, ça arrive. Ça n’a pas de sens. Le problème, c’est la loi des séries. Les mauvaises nouvelles, les tâches ingrates qui fatiguent, et en rentrant, je perd les clefs de bagnole, bien sûr, quelque part dans la rue. Quelque part… J’ai le souvenir d’un geste, quelque chose, et rien. Jamais perdu mes clefs, jamais de ma vie. Fallait peut-être que ça arrive. Et c’est bizarre, ce moment où je m’en suis rendu compte, j’ai eu un blanc, un moment de flottement, brusquement je ne savais plus ce que j’avais fait l’heure d’avant, comme une grosse panne de la mémoire immédiate. Une sensation de malaise, un truc qui s’abat. Ce n’est pourtant rien. Je me suis revu l’autre jour passé devant la boutique du serrurier, et changer d’avis, différer le moment de faire un double. Et Loinel qui en me rendant la voiture réparée m’avait dit « tu fais un double, penses-y, fais un double ! ». Hum. Oui. Petite misère du quotidien. Tant pis. Je me calme. Le malaise ne passe pas. C’est l’accumulation. Pour ça qu’on devrait jamais raconter. Parce que ce n’est rien du tout, rien, mais dans une journée, quand ça s’accumule, ça fini par boucher la vue, par occulter la raison, et l’animal superstitieux est jamais loin, juste à gratter, à perdre un truc chiant, et à mal supporter les contrariétés. La première chose qui me vient, c’est « j’ai pas le temps d’avoir ce genre d’emmerde… J’ai encore 40 pages à écrire et des livres à lire, j’ai pas le temps… pas maintenant… », mais ça ne sert à rien, ça n’avance à rien, les choses sont là, irréductible, comme lors d’un carambolage, quand vous sentez la voiture glisser et qu’un instant est une éternité. Le soir, je cherche ma respiration, dans la fatigue physique et nerveuse. On s’installe dans le salon, avec Céline, et on se calme. C’est bon, la journée est terminée. Tranquille. On pose les corps, faut que ça passe. Ce n’est rien, j’aurais pas la tête ailleurs, dans le travail d’écriture, ça serait rien… Un bruit énorme, au bout de l’appart, nous paralyse. Un truc qui a explosé, en verre surement. On se regarde. On cherche le chat des yeux. Il est là. Bon. Qu’est-ce que c’est ? Je me lève et j’avance, cherchant le lieu du drame. Dans notre chambre, le grand miroir est tombé sur la petite table et a littéralement explosé. Ça fait dix ans qu’il est là, ce miroir.. Enfin qu’il était là… Il y a une araignée de grands morceaux éclatés au sol, et des minuscules aiguilles de verres partout, sur les draps, sur la moquette, saleté de moquette. Céline arrive. « Qu’est-ce qu’on dit déjà ? Hein ? Quand on brise un miroir ? » Je souris. Et ça fait du bien après cette journée. Je trouve un assez grand carton pour évacuer ça, et nous ramassons délicatement les plus grands morceaux. Je pense « lentement, lentement, on ne termine pas une journée comme ça en se coupant salement ». Ensuite, la chasse aux aiguilles de verre, secouer les draps, les changer. Écarter le chat trop curieux. Ce crétin… il a des coussinets, ce con, est-ce que j’ai des coussinets ? Merde alors ! Je regarde Céline et je lui dis « tu vois, une journée pour accro à l’horoscope. Tu sais ce qu’on va faire ? On va regarder notre horoscope sur Internet, le mal par le mal… Une journée irrationnelle, on va la clore par une bonne dose d’irrationnel ! » Elle est surprise. Pas mon genre. Et ça l’amuse, on regarde nos horoscopes, très bon, limite merveilleux. Le mal par le mal… C’est con ces trucs ! mais comme on en sort en s’étant fait traité de génie, ça coule tranquille… Bizarre les superstitions… Le miroir qui s’est brisé a clos cette sale journée. Notre humeur est passée au beau fixe. Tranquille. Ça roule. Faut pas croire les superstitions. Je préfère les symboles, et ce miroir était un vestige d’une ancienne vie, l’indice qu’il est temps de changer.
Raison
Publié le 7 août 2007