J’ai lu les trois textes de Pierre Klossowski autour de sa célèbre « Roberte ». Et je me suis souvenu de ce que nous disait un prof des Beaux-Arts à l’éducation trop classique sur les dessins de « Roberte »… Il ne les aimait pas. Il s’en servait même pour nous expliquer que si on avait les moyens intellectuels et stylistiques pour écrire sur son travail, le milieu de l’Art accepterait n’importe quoi. Même, selon lui, le faible et l’inacceptable. Plutôt que s’acharner sur l’inextricable polémique du goût, il aurait mieux fait de s’intéresser aux mécanismes sociaux en jeu dans cette visibilité de ces dessins qu’il trouvait si faibles. Enfin, c’était à la fin des années 80 et Pierre Klossowski était l’exemple idéal d’une « haute littérature » servant de caution à une médiocre production plastique.
Du haut de ces poussiéreuses certitudes classiques, comme on peut se tromper ! Trente ans plus tard, les écrits de Pierre Klossowski ont salement vieilli. Ils ne sont plus aujourd’hui qu’un ramassis de niaiseries qui démontre ironiquement que l’intellectualisme en élevage consanguin est une catastrophe culturelle. Par contre, ses dessins naïfs et obsessionnels au crayon ont bien moins vieilli, et même, pour l’esthétique, entrent en résonance avec un renouveau (mondial) du dessin amorcé au début du XXIe siècle. Ironie de l’Histoire, sans compter la singularité de sa démarche fantasmatique, quand ses textes indécrottablement misogynes et réactionnaires deviennent ridicules, ses dessins longtemps demi-honteux, par leur manière de (soit-disant) faire fiction de sa femme, ne dépareillent pas dans un cadre nouveau d’un mouvement nouveau du dessin libre et surréalisant. Cette nouvelle scène du dessin, souvent au crayon, permet même de porter un regard nouveau sur Roberte. Au-delà de l’érotisme sadien (à la mode à son époque) monogame (rare) bourgeois (commun) rejouant jusqu’à la nausée une scène inaugurale de viol (une « hospitalité » que ne semble pas partager le personnage), le grotesque du traitement et même un évident comique les rachète. Mais plus encore, ils s’intègrent aujourd’hui parfaitement à la grande culture queer mondiale, par Roberte même, ce personnage qu’on sait aujourd’hui ambigu, au genre trouble, et qu’on soupçonne lourdement, au-delà du rôle affiché d’épouse bourgeoise soumise et offerte à des inconnus, d’être surtout l’alter ego de l’auteur en travesti.