Je crois que j’aurai aimé, comme le moindre « mort » de “Juste Ciel” d’Éric Chevillard, avoir parfois ce genre de réparti, pour remplacer, éviter, et fuir même, des dialogues incohérents, maladifs, insensés, mortifères, psychomécaniques, attendues, à l’issu si écrite qu’on préférerait s’arracher la langue plutôt que les avoir prononcé, plutôt qu’y avoir joué et perdu d’avance, perdu d’avance, parce qu’il y a des échanges qu’il est préférable de ne pas avoir, contre le culte de l’expression, de l’éclairage, de la mise à plat, des points sur les i, des regards en face, et de toutes ces saletés de vérités débiles qu’on s’imagine devoir dire au mauvais moment :
« Sais-tu qu’en ce moment même, à cet instant, des mandrills errent dans l’ombre rose d’une savane, une vieille dame s’écroule morte dans la rue, une sauterelle vert amande effectue un bond, une bille roule sous un buffet, une stalactite de glace se détache d’un piton, une chèvre met bas, un adolescent fait à ses parents l’aveu de son homosexualité, une vague se brise sur un rocher, un grain de riz choit sur un col, une pièce de puzzle irrémédiablement s’égare, une bourrasque emporte un toit, un poète trouve une rime, une corde de guitare casse, un cycliste se fracture la clavicule, un incendie se propage aux étages, une femme se cambre et jouit, un coup de feu part, un cygne plonge, un gâteau sort du four, un Van Gogh est authentifié, des cheminots se mettent en grève, un nuage devient un aigle, un tennisman smashe, un radis germe, un bébé vomit, un vin tourne, un couteau lacère un corps, un écolier triche, un garçon de café trébuche, une banane est pelée, un lacet se rompt, une horloge s’arrête, un sapin se couche, un cambrioleur pénètre par effraction dans une villa de bord de mer aux volets bleus puis dérobe une petite guitare espagnole, un groupe folklorique répète son quadrille, une prostituée refuse un client ivre, du lait bouillant déborde de la casserole, deux déménageurs déchargent une armoire, une automobile percute un mur, un grutier grimpe dans sa cabine, le cours d’une action s’effondre, une fillette ramasse une plume, un cheval secoue sa crinière et chie, un homme brun se débarrasse d’une chiquenaude du mégot de sa cigarette, un homme blond aussi, un écrivain s’essaye à autre chose, un cercueil descend dans une fosse, un cœlacanthe se propulse vers l’avenir d’un coup de queue, une météorite se désintègre en entrant dans l’atmosphère, une fourmi bifurque, un marteau s’abat, en ce moment même aussi, Palmyre, et d’ailleurs à chaque instant, tout cela reste vrai. »
Sinon, que ce livre est drôle. Et tendre. “L’avenir n’existe pas”, message de l’au-delà.
Et noter, la naissance de la poésie, chez le personnage, de l’amour pour une morte ancienne comme http://bonobo.net/dialogue-sur-la-fille-virtuelle
Petit tremblement : Je dis, dans une autre sphère, mais exactement trente secondes avant : “je ne comprends pas pourquoi se faire épiler les sourcils doit vider les sinus ? Pourquoi ?” sans réponse, et je retourne à ma lecture, je tourne la page que je viens de terminer, et lit :
« On ne lui a seulement pas expliqué pourquoi l’arrachage d’un sourcil provoque l’éternuement. »
Heu… Tu te calmes, Chevillard, et tu restes dans tes livres, bien virtuel, bien loin, et sans interférer avec ma vie S.V.P. !
Non, mais quelle malice ! (dans le livre, et l’interférence avec mon continuum)
Qu’est-ce que ce livre est drôle !