Travail

Publié le 15 avril 2013

Pas celui que je quitte, le premier. Quand elle est partie, non je dis partie, mais elle n’est pas partie, elle s’est éloignée seulement, quand elle s’est éloignée, donc, pour aller faire la guerre à un pauvre gars qui ne comprendra rien. Je me souviens, quand il viendra la chercher chez moi. Je le raccompagnais fermement à la porte. Elle ne voulait plus le voir. Et devant ma porte, là, je lui ai dit quelque chose, quelque chose dont je n’ai aucun souvenir, mais là, il m’a regardé et dit « oui, tu as lu, tu sais des choses, tu fais ton malin en citant “machin”, mais… » je l’ai coupé : « Abrutit, tu vois la différence avec moi est là. Tu as lu cet auteur, je vois de quel livre tu parles, mais moi, je ne l’ai pas lu… Tu comprends ? Tu comprends ce que ça veut dire ? Je n’ai pas besoin de citer pour penser… Tu comprends la différence avec toi ? ».

Jamais revu.

Et comment me suis-je retrouvé si pauvre, lorsqu’elle s’est éloignée alors que j’avais un travail ? Ho, une histoire édifiante, un comportement récurent. Mon premier vrai patron, un drôle de gars qui avait raté ses études de sociologie, qui avait assez mal digéré ce qu’il avait lu, et avec des tendances totalitaires certaines… Il m’avait avoué un jour, après avoir vidé ma bouteille d’XO, qu’il attendait un « changement de régime » pour « faire ce qu’il voulait avec la population ». Charmant. Il avait pris à Mao sa casquette et le gout de l’autocritique… celle des autres. Et donc, un jour, nous nous étions tous retrouvés pour un repas au bord du fleuve, croyait-on. Mais ce n’était pas une fête, mais un procès de l’un d’entre nous. Je me souviens, du sentiment d’humiliation que j’ai ressentie à assister à ça. Et ensuite, j’ai oublié. Et un jour… une réunion, dans cette salle toute neuve, avec ces sièges tout neufs, et dans la lumière toute neuve de ce bâtiment tout neuf… Tout le monde s’assoit, et la réunion commence, et il me faudra quelques minutes pour comprendre que c’est mon tour,  c’est le jour de mon procès, que je vais devoir « faire mon autocritique ». Instantanément, ma tête est tombée, j’ai contenu ma colère… et lentement, alors qu’il parlait, sa casquette idiote vissée sur sa tête de complexé, si vexée qu’un jour, nous l’avions surpris sortant de la bibliothèque les bras chargés de livres d’Art, pour tenter de rattraper, pour tenter de comprendre de quoi on parlait, comme si… idiot ! on rattrapait une vie d’immersion en lisant quelques livres défraichis… Comme si la passion s’attrapait ! lentement, donc, je me suis levé, sans égard pour sa parole autoritaire, et je suis sorti de la salle et ne suis jamais revenu.
C’est comme ça que j’ai perdu mon premier emploi. Ce qui me renvoie à cette école des officiers… Ou à la manière dont la sœur d’une fille dont j’étais amoureux a tenté de m’humilier… Le gars qui se lève, en silence, et ne revient jamais, quoi qu’il lui en coute.

 

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