Traversée d’Ultramarins, roman de Mariette Navaro chez Quidam.
https://www.quidamediteur.com/catalogue/made-in-europe/ultramarins
C’est seulement à la lecture d’Ultramarins de Mariette Navaro que j’ai pris conscience de la quasi-disparition de la marine, marchande en particulier, dans la fiction contemporaine. Pourtant, même en oubliant le roman de pirate ou de naufrage, il me semble que le cinéma des années 40, par exemple, n’aurait pu se passer de quelques gros bateaux… Est-ce parce qu’aujourd’hui le marin de commerce n’est plus que l’ingrédient biologique du cyborg de mer, lui-même simple instrument du grand commerce international ? Et donc, quand le voyage n’est plus vraiment un voyage, mais une parcelle de procès ultrasécurisés, peut-on encore en espérer l’aventure ? Bien sûr, la machine peut encore s’enrayer, et bloquer d’ailleurs toute l’économie. On l’a vu quand le porte-conteneurs Ever-Given s’est pitoyablement coincé en travers du canal de Suez. Mais cette mésaventure, ce gag gigantesque, cet ersatz minable du grand mythe du naufrage nous emporte très loin de la grande aventure marine qui a tant fait écrire…
C’est ainsi que Mariette Navaro décide d’enrayer la grosse machine contemporaine du transport de fret, tout simplement, par son maillon faible, par ce qui lui reste de psychologie humaine. Depuis Henry James, on sait bien que le fantastique peut naître d’un simple trouble de la perception, et surtout, pour en garder le charme, de la non-résolution de ce trouble. Mais si ce texte est traversé par quelques références implicites, et certaines explicites, c’est à la littérature japonaise que j’ai pensé (Ogawa ?), pour cette manière subtile et poétique de troubler le réel par un presque fantastique. Et ça devrait suffire à décrire un bijou de roman parfait par sa simplicité, par son écriture impeccable, mais qui doit rester une surprise pour ne pas perdre ses charmes…