Vices

Publié le 3 avril 2011

Je dis un truc, je fais le contraire. Peut-être pour ça que j’accorde si peu d’importance à ce que je dis… Y-a-qu’à voir ce blog… Je l’ouvre, je dis, je fais pas, je tergiverse, j’hésite, j’y arrive pas, je flippe, je m’invente des histoires, que j’ai peur de « replonger » par exemple, puisque le blog est une drogue, et que j’ai gouté aux symptômes, en 2006, à l’addiction, à l’effet d’écho, de vie en écho, d’instrumentalisation des choses que tu vis pour un simple billet, pour deux lignes, un morceau de bravoure, rien. Et les discussions sans fin avec les gens autour, qui n’aiment pas — détestent plutôt — devenir des personnages de fiction en temps réel. Et donc, pour ne pas se retrouver seul, universellement haï, l’autocensure, les coupes, les repentirs… Alors un jour je dis, le lendemain je fais pas… Mais ça me travaille, ça me mine, ça me ronge, etc. de l’acide, une angoisse sourde que rien n’étouffe. T’as envie d’écrire, mais t’y vas pas, comme l’eau trop froide qui te provoque des frissons rien qu’à l’idée de plonger, et pourtant, tu sais que si tu plonges, tu remontras pas… Tu vas y prendre goût, retrouver tes réflexes, jouir.
 Des histoires. Mille fois, tente de m’approcher. Me pose devant le portable. Me dit, bon, je m’y remets. A quoi ? Je sais plus trop, à quoi ? À tenir un blog, m’y couler plutôt, ou à la recherche en eau libre ? À la chronique ? À ma thèse en stand-by… Mauvais signe. Cette année ratée, ais-je vraiment cherché à lutter contre ces sabotages administratifs qui m’ont fait rater une année ? Voulais-je savoir quelque chose ? Ai-je un problème avec l’actualité du sujet ? Umberto l’a dit, pas de sujet trop actuel, sinon, il fuit devant toi, il te fuit plus surement qu’un lapin dans tes phares. Alors, quand je me pose derrière le portable, je ne sais même plus ce que je dois y faire… facebook me sauve, deux conneries par là, une belle chose qui passe par ici, mes « amis » sont si riches ! et l’angoisse, le nœud qui ne se défait pas, et la conscience de la fatigue physique, comme un prétexte (sic !), l’ennemie de l’écriture, des yeux lourds, qui piquent, et l’autre histoire, t’es salarié, t’es crevé, tu peux pas consacrer ta vie à écrire, ton cerveau est saturé d’infos qui n’ont de sens que dans le cadre étroit de la tâche du jour, tu as une excuse quand même ! Merde ! T’es un prolétaire ! Pas tout à fait, plus tout à fais, menteur. La nuance n’enlève pas la servitude. J’ai dit, plus d’égotisme… raté. Plus de jérémiades, raté, le plat dans toute sa largeur. Comme j’ai dit quoi d’autre, il y a peut-être 3 mois, Céline me le rappelle aujourd’hui, alors que je la bassine avec Pynchon, que je ne lisais plus de roman parce qu’ils m’emmerdent, que je m’y ennuie instantanément, et paf, je m’ingurgite une dose quasi mortelle d’énormes romans américains, comme pour rattraper le temps, ce temps immense consacré aux essais, aux articles, aux revues scientifiques…
 Que cette boulimie m’en rappelle une autre, au milieu de la trentaine, et ce serait peut-être l’indice que je ne vais pas bien aujourd’hui, puisque c’est au fond d’un autre gouffre que je me suis précipité sur Kafka, en masse aussi, boulimique, pour tout lire, avide et content, en me disant, à chaque fois que je refermais un livre, que j’aurais jamais dû essayer de lire ça si jeune, que j’avais rien compris, et que ça m’en avait laissé éloigné trop longtemps ! Mais en même temps, il fallait peut-être que je devienne le personnage, pour gouter vraiment, puisqu’à trente ans, on avait fait de moi un fonctionnaire, sans que je demande rien à personne, que moi qui croyais être bon à rien, d’autres avaient découvert que j’étais trop bon à tout, et qu’ils avaient décidé de me garder confit, comme on garde une viande rare, et que j’allais travailler dix ans dans un horrible château néo-gothique, improbable, ou j’y souffrirais d’une subtile agonie de l’âme… 
Je dis, et je fais le contraire, contrariant jusqu’au bout, jusqu’à jeter ce poste de fonctionnaire, qui m’obligeait à vivre dans Kafka. Le lire, oui, y vivre n’était pas raisonnable.
 Une faiblesse, le vice qui gagne. Je dis encore et encore, parole facile, j’avais dit que j’en avais terminé avec l’écriture fermée, repliée sur elle-même, sur moi comme une carapace, que la maturité… La maturité mon cul ! Infantile encore ! oui !

 Alors, je suis plus sur de rien, et accepte de reprendre sur ce ton, pourquoi pas, et me dis que ça se fera comme ça se fera… même si ça doit ressembler à rien !

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