Nathalie Kuperman me fait rire. Quand Céline m’avait tendu « Les raisons de mon crime » en me disant ça c’est bien, je me souviens d’avoir pensé « Kuperman, c’est comme Superman mais avec un K » et c’est tout. Ensuite, j’ai pris du plaisir dans « les raisons de mon crime », l’ai noté là et me suis dit que cette Kuperman était à suivre. Donc, lecture du nouveau, « Je suis le genre de fille », énumération de petites saletés badines, et je me marre. Et donc, oui, Nathalie Kuperman me fait rire. Mais sous ces airs badins, il ne faudrait pas s’y tromper : se donner comme exemple de faiblesse, de médiocrité, de toutes les petites failles morales, c’est l’unique antidote aux irréalités dangereuses des idéologies, me dis-je après quelques chapitres. Et souvent, j’aime ses phrases, comme « Je sombre dans l’idiotie, et je guette ce moment où plus rien ne fait obstacle à qui je suis vraiment : une femme qui aime dormir ».
Et puis, après une première moitié sarcastique, mais légère, vers le centre, vers l’estomac ?, ça vrille aigre. La charge qui par contraste démontait son habitus, le ridiculisait jubilatoire, se retourne masochiste pour décrire une douleur vive, mais imprécise, complexe, tordue, contradictoire, sans espoir d’en démêler le plus petit début de nœud… Hum… Le désir et la répulsion s’emmêlant, se tirant à hu et à dia, Nathalie Kuperman s’abandonne comme exemple de la manière viscérale, et non intellectuelle, dont fonctionne le processus normatif de tout groupe social. Elle consent, à tout, à tout ce qu’on attend d’elle, mais échoue par incapacité, par incompétence définitive. Elle s’avoue compromise, collaboratrice des injonctions de l’époque et du modèle moyen, d’autant plus coupable qu’elle en a conscience, et d’autant plus perdue qu’elle en souffre et que ça désigne même le cœur de sa souffrance.
(Ce qu’est l’écriture pour Kuperman (Superman avec un K., donc, mnémotechnique) est entier dans cette adolescente qui s’écorche les doigts avec son stylo Waterman pour aller à l’infirmerie. Des deux stratégies, sadique (l’ex-mari et tous les autres personnages) ou masochiste, qui s’attirent et se repoussent, et s’entredétruisent par impuissance à détruire la bêtise trop cruelle du monde, Kuperman a choisi la plus simple, la plus évidente, celle qui ne demande pas l’implication d’une altérité qui joue plus souvent qu’à son tour les filles de l’air). Doucement, par l’assombrissement, ce qui était portrait d’une société ridicule, de cette classe moyenne+ avec option « culture », devient masque, cachant mal, de plus en plus mal, la mélancolie essentielle de « l’horreur arborescente qui rampe vers nous, grimpe, s’accroche, et que rien ni personne n’empêchera de progresser ». Et alors famille, travail, couple, enfant, divorce, vacances, fêtes, douches à l’italienne et huile d’olive première pression à froid, dévoilent leurs vraies natures de distraction, d’atermoiement, de pharmacopée superstitieuse.
Sans pouvoir présumer du degré de témoignage — beaucoup de textes contemporains ont un statut trouble… mais après tout tous les textes ont a un statut trouble — Kuperman est pourtant cousine des confessés plus ou moins caché derrière la fiction comme Huysmans dans « À vau-l’eau », au personnage lui aussi paumé dans la crasse de sa classe et de son temps. Bon, peut-être que certains noteront que c’est aussi une lettre d’amour à sa mère prématurément morte et surtout à sa fille bien vivante, mais… je ne suis pas ce genre de mec.
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