Effet de la pandémie, je me suis encore retourné vers ma bibliothèque, au hasard parfois et avec bonheur ici, pour Ida de Gertrude Stein qui y dormait depuis des décennies. Ida, ritournelle lancinante et hypnotique, amusante (vraiment drôle) et inquiétante, enfantine et savante, Ida raconte l’insignifiant et élude le romanesque. Ida, jumelle d’elle-même, invente son double Winnie avant de l’occulter, et se déplace, et déménage beaucoup (change d’état / d’État), et croise des gens, beaucoup, et se marie, plusieurs fois, et a des chiens, des tas, et Ida ne regarde jamais par la fenêtre… On n’en saura guère plus, et autant sur les chiens que sur Ida. Écrit à la sortie d’une parenthèse historique d’explorations formelles dans tous les arts, Ida est radicale et annonce des révolutions romanesques à venir. Gertrude, elle, pensait le roman terminé, fini, épuisé, et donc s’y reprend à plusieurs fois pour écrire ce roman-là sans roman, mais avec des mots, des assonances et des situations. Étrange notation, quasi littérature orale, écriture-machine pour écrivaine-machine pour personnage-machine, l’expérience ouvre vers Duras, Sarraute, Becket, etc., mais aussi Jelinek et Handke pensais-je…
Infusion littéraire, en 2021, Winnie & Ida sont deux gentils Cairn Terrier sur Instagram. Gertrude aurai aimé, peut-être.
Gertrude Stein, Ida, Fiction & Cie N° 20 Seuil 1978 avec une parcelle de Cape Cod morning d’Edward Hopper en couverture