Bordel, je le sentais bien, là, mais il va y avoir des virages difficiles à écrire. Va y avoir des virages difficiles. Et puis, je joue un jeu dangereux, très dangereux avec ma petite vie. Si je peux raconter certaines choses, c’est parce que tout le monde est mort, tous ces personnages sont morts, ils sont morts dans le temps de leur vie, devenue autre chose, d’autres gens. On meurt assez régulièrement, devenant autre chose. Il n’y aucun continuité de l’être, juste une actualisation problématique, la mémoire qui fabrique, ressasse, refabrique, et on marche là dessus, ce mouvant de l’être, en pensant que c’est solide et stable. Mais non, rien. D’un rien, tu peux t’oublier et devenir un autre. Et même s’il ne se passe rien, le temps s’en charge. Donc, tous morts, quelque part sur le bas côté d’une voie ferrée, dans une petite ville triste de Charente-Maritime. Mon corps a survécu, assurant la continuité de l’identité légale. Je n’en garde presque pas trace, sinon cette articulation du majeur de la main droite que j’ai sacrifiée. C’est un bien maigre tribut pour autant de sabbat. Ensuite, elle allait me tatouer un petit trait noir, au compas et à l’encre de chine, à l’intérieur de l’articulation explosée, magie, qui se ressoudera explosée. Nos corps ont survécu. Nous avons vaincu les sorts, tous, et surmonté toutes les épreuves, tous les accidents, et toutes les voluptés, et toutes les amertumes. Bonne étoile. Ma bonne étoile.
Ma bonne étoile
Publié le 5 avril 2013