C’est si étrange l’écriture ! Il suffit de s’éloigner d’une écriture pour la perdre. La perdre de vue, et la perdre totalement bientôt. Je sais que j’ai perdu une écriture dans une expérience dernière. Je savais que je perdais. Je sentais que je perdais, mais je n’ai pourtant rien fait pour retenir ce que je perdais.
Parce que je n’étais plus moi. Ou plutôt, je n’étais plus pour moi. Alors, cette écriture, que je reconstruis là, à l’instant même, narcissique, car je pouvais bien la laisser se perdre puisque je savais pouvoir la réinventer à tout moment, cette écriture là avait laissé la place à une expérience d’externalisation du moi inédite.
Une expérience dont je parlerais dans des années pour laisser en paix l’altérité que j’habitais alors.
Voilà. Maintenant. Ici. je suis au bout, au bout de quelque chose. Je suis de retour chez moi. je suis de retour moi. Seul. Et je peux de nouveau tricoter le narcisse pour moi seul. Retrouver l’écriture.
Sibyllin. Oui.
Cette nuit, j’ai rêvé que je regardais mon corps au sol, recroquevillé en position foetal, totalement carbonisé, consumé. Je regardais, de dessus, et ne ressentais rien, aucune souffrance, aucune peur, aucune tristesse. je regardais ce corps calciné, prêt à s’effondrer, informe, cendre légère, encore rougeoyant d’une chaleur intense par endroit, au cœur des organes, et je trouvais ça normal, parfaitement normal, et même évident. Oui, évident. c’était la chose qui devait advenir. Ce qu’il devait advenir de moi.
Dans le rêve, je me souvenais avoir mentalement résisté, la semaine juste passée, au film en boucle de mon corps disloqué par les camions sur la voie rapide. Mais là c’était différent. Ce corps là, que je regardais sans affect, était dans l’état ou il devait être. Nul drame. Nulle souffrance morale. Nulle tristesse infinie. Nul chagrin.
C’était un corps cramé. Mon corps. Et il devait être cramé pour que je sois là, maintenant, de retour dans cette écriture à zéro.
à partir de rien.
Avec un corps à reconstruire aussi.
Un corps de l’écriture.
Je suis mort, encore, cette dernière nuit, pour renaitre encore, sans seconde mère cette fois. De moi-même, de ma propre douleur comme matrice.
Matrice incandescente, matrice four, incendiée par la douleur qui ne s’arrête que lorsqu’il n’y a plus rien à brûler.
Voilà ce que je regardais sous moi, d’un regard sans corps, ce qu’il restait de moi à la fin de l’immensité de l’incendie du chagrin.