Sagesse antique

Publié le 28 octobre 2017

J’ai compris, quand j’ai vu mon père s’atteler à des lectures en souffrance, qu’il voulait savoir ce qu’il y avait dedans avant de mourir. Geste esthétique, plus esthétique que philosophique ou spirituel, geste vain, vide, de contenance presque, il emportait un Romain ou un Grec ancien pour patienter pendant la chimio, assis sur ces gros fauteuils laids en compagnie d’autres malades. J’ai eu un réflexe, un demi-réflexe, à peine esquisse de réflexe, juste une légère vapeur de velléité de lui en parler. Me passait alors en travers de la tête que mon paysage culturel étant plus vaste que le sien… que j’aurais pu, que j’aurais du… mais non, j’ai compris, vu, accepté que je n’avais rien à dire, que je n’avais aucune leçon, aucun enseignement, aucune piste pour affronter, et que lui, jamais, jusqu’au dernier souffle, ne sortirait de sa solitude et de son mutisme habituel, de cet étrange continuum hermétique à sa femme même ou à ses enfants, ce continuum qui composa sa vie, une vie simple et prolétarienne, simplement laborieuse, mais d’un labeur obsessionnel, névrotique plus que de devoir. J’ai compris plus vite encore l’impossibilité et la bêtise de cette injonction à la communication. Il n’y en aura pas, ni parole, ni dialogue, ni regret de dialogue. Rien, juste l’évidence d’une génération. Rien d’autre que des évidences. Et je suis en cela comme lui, je ne suis pas du genre à espérer de l’autre, à attendre je ne sais quoi, une révélation, un échange, un équilibre des forces, une reconnaissance. Non. Rien. Les continuums des générations s’enchaînent, mais parallèles ne se croiseront jamais. 

Me suis souvenu qu’il avait dit avoir acheté ces auteurs antiques « pour sa retraite »… Mais il ne les avait pas lus « à la retraite », ou pas à celle-là, et voyant les livres qu’il emportait, j’ai compris qu’il se préparait. Peut-être même que cet étrange choix de lecture était un message, que c’était sa manière à lui, si peu disert sur lui-même, de montrer au monde qu’il était mourant et qu’il s’en accommodait.  

 

Visited 1 times, 1 visit(s) today

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.