Découvrant Christian Garcin par son livre coécrit avec Tanguy Viel, je me préparais à lire trois de ses livres pile à l’historique moment de l’impromptu viral… je me retrouvais donc confiné avec un auteur que j’avais envie de découvrir. Il y a pire. J’ai lu ainsi L’autre monde (2007 Verdier), et à la suite deux épisodes de son Zorro chinois qui sauve les femmes vendues à des maris abusifs : des femmes disparaissent (2011 Verdier) & Les Nuits de Vladivostok (2013 Stock).
Deux romans qui se jouent des récits enchâssés (archaïque) et des changements de narrateur (très nouveau roman). Et qui selon le procédé du blason (Magny), s’invente un auteur dans l’auteur et un roman dans le roman… Et je me suis demandé s’il y avait un hypotexte précis à cette élégante plaisanterie. Puisque la Chine y est à l’honneur, peut-être dans la littérature chinoise traditionnelle que je connais peu ? Je ne possède qu’une édition du Rêve dans le pavillon rouge, l’un de ces 4 classiques qui sont 5 (comme les 3 mousquetaires sont 4 par chez nous), et que j’ai lu partiellement, en travers et dans le désordre, mais qui possède bien un récit cadre…. Je me demande quand même si le meilleur candidat hypo ne pourrait être le Manuscrit trouvé à Saragosse. Il en reprend les enchâssements, mais aussi le personnage pivot que tous les narrateurs secondaires ont tous rencontré dans des circonstances variées. Cette trame secondaire concentrique qui se tisse par les rencontres des différents protagonistes des sous-récits est une similitude possible.
Christian Garcin est si joueur qu’il minaude et quand il invente dans des femmes disparaissent un personnage récurent aussi stéréotypé qu’un détective privé, Zhu Wenguang, surnommé Zuo Luo pour l’homophonie avec Zorro, c’est en trompe-l’oeil, car Les Nuits de Vladivostok ne sont pas vraiment une nouvelle aventure de Zuo Luo. Pourtant, les deux livres mettent bien en scène les enquêtes d’un détective chinois redresseur de torts du même nom… Et le jeu le plus inédit (à l’aune de ma maigre culture) est sûrement ce rapport étrange, de non-suite, qu’entretiennent les deux romans. Donc, ils ne sont pas deux épisodes des aventures d’un redresseur de torts chinois, mais une mise en abîme du degré de fiction hors la structure de l’enchâssement. En effet, Le Zuo Luo du second roman connaît l’existence d’un livre antérieur qui a fait de lui un personnage de fiction… Le héros du premier découvrait déjà l’existence d’un livre romançant sa vie, mais dans la pseudo-suite, le premier livre réel devient le roman du personnage du second, qui prend alors un grade supérieur de réalisme. La mise en abîme est donc inverse aux enchâssements traditionnels qui vont du crédible vers la fiction par enfoncement. Ici, la fiction part du roman vers un pseudo réel pourtant toujours romanesque, en remontant de deux grades en deux livres : Un roman dans le roman pour le premier, et le roman premier devenant le roman dans le roman dans le second. Ce n’est donc pas un enfoncement dans une fiction de fiction, tradition des récits enchâssés, mais une remontée vers un degré de réel pourtant toujours fiction, donc inaccessible en tant que réel. Dans le roman primitif, et dans nombre de jeux structurels, nous entrons en fiction par un récit-cadre qui veut se faire prendre pour témoignage, la situation de Shérazade, les mémoires découvertes chez Dumas ou Potocki, etc. Christian Garcin s’amuse à remonter ce courant… Ainsi, par ce jeu, il s’inscrit dans une tradition borgésienne, peuplé d’ailleurs d’auteurs manipulateurs de diégèse que je connais mal. Le second livre repousse la frontière de la diégèse, en faisant participer notre lecture du premier livre à une fiction qui nous engloberait comme lecteur d’un roman inspiré du personnage du second. Et tout ça planqué derrière l’invention d’un romancier chinois… Heu… Plus facile à lire qu’à décrire.
Enfin, les deux aventures existantes de Zuo Luo participent d’un ensemble polydiégétique troublant qui entache de gratuité le genre pastiché : le roman d’enquête, qui n’apparaît alors plus que comme à peine un prétexte, un arrière fond, et dont il ne reste parfois qu’un simple fumet résiduel. Tout ça passerait pour une blague si Christian Garcin n’avait pas une écriture élégante emprunte d’une ironie et d’une mélancolie également subtiles qui apportent une distance qui m’enchante, mais qui interdit peut-être les grosses passions, et, je suppose, doit pouvoir décevoir les amateurs d’effet.
Un Garcin malin, deux Christian Garcin | BONOBO.NET
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