On expérimente une continuité, chaque jour de notre vie, qui se dissout au fur et à mesure et dont on réussit péniblement à garder de rares traces, figées, auxquelles ils ne restent aucune des qualités d’origines. Il ne reste rien du temps. Il ne reste rien de notre temps. Il ne reste rien de nos temps. En scannérisant les diapositives de mon père, je retrouve l’intégralité de ma mémoire. Ou plutôt, de ce que je crois être ma mémoire. Je ne suis qu’ekphrasis. Ce que je prends pour ma mémoire, et je crois que c’est une grave conséquence de l’invention de la photographie, n’est que la description de ces images qui ont trainé sous mes yeux toute mon enfance. Heureusement pour moi, quelques scènes n’ont pas été photographiées. Sinon, je pourrais douter de mon identité. Je regarde apparaitre ma mémoire, sur l’écran, lentement, avec un mélange de plaisir, de surprise et d’un sentiment assez désagréable de dépossession. Progressivement, je me vide de mon imaginaire et retrouve une forme de virginité mentale cousine de l’amnésie. J’envie ceux qui n’ont pas de photographie, ou ceux qui en ont peu, et qui peuvent donc s’imaginer en paix sans le parasitage de ces artifices. Et j’ai peur du jour ou je rouvrirais la montagne de DVD gavés de photographies numériques. Car depuis la photographie numérique, les moments sans trace se raréfient dangereusement. Aujourd’hui, chaque moment sans trace ni réseau est un sanctuaire et une pépite pour la mémoire, et donc pour l’identité.
Il ne reste rien du temps
Publié le 11 avril 2013