Il y a dix ans, le moment que j’aurais aimé raconter, c’est celui, cinq ans plus tôt, enfin, quand elle est venue avec sa gamine. Car venir avec l’enfant, s’installer, trouver là où elle dormira était un signe majeur. Elle arrêtait de passer et repartir. Elle arrêtait enfin d’hésiter, de ne pas savoir, de se faire prendre et de se sauver. Elle acceptait mes griffes. Elle acceptait mes bras, définitivement. Elle n’aura plus d’amants. Une victoire, avec moi, oui, avec moi, elle ne partira plus, jamais. Enfin, c’est un peu rapide. Les nuits vont continuer, nos nuits, mais sans les autres, après un déménagement et la rupture sociale totale. Nous étions seuls, enfin, dans nos nuits graves. Et souvent, ça se terminait mal, mais, jamais nous n’avons réussi à nous éloigner, jamais, et nous nous sommes tout pardonnés, toutes les paroles, tous les gestes. Parfois, elle me rappelle cette unique gifle qui était partie alors qu’elle était particulièrement odieuse, une gifle en 20 ans, et je lui réponds, oui… mais tu as essayé de me tuer… Ce qui clôt les reproches. Je gagne toujours à ce jeu là. Je suis toujours plus civilisé. Mais j’ai toujours honte de gagner.
Notre histoire magique continuait. Nous avions visité des appartements, des taudis hors de prix… Nous étions désespérés, et en passant dans cette rue, en tournant la tête, nous avions vu ces appartements modernes qui donnaient sur le paysage… Et j’avais arrêté la voiture, et on regardait comme un rêve « regarde, ce serait génial d’habiter dans un truc comme ça, ici… avec la vallée en face… » Et une semaine après, le gars de l’office HLM municipal nous convie à visiter l’appartement qu’il nous propose… et on frissonne en découvrant que c’est l’un de ceux qui nous faisaient rêver. Notre étoile, encore. Notre nid serait là, dans le ciel, au-dessus du vide.